Le site des Moulins de France
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Voilà un sujet qui suscita l’intérêt de peu de chercheurs au regard de ce qui fut fait en Bretagne, Espagne et Portugal qui abritent de nombreux moulins à mer. Mais qu’en-est-il de la Côte Basque ?

Inventaire théorique

En 1936, un chercheur régional, Philippe Veyrin se lance dans cette étude et recense avec rigueur les moulins à mers sur la Côte Basque(2). Il s’appuie essentiellement sur des cartes anciennes et des documents
iconographiques.
A l’issue de son enquête plutôt fructueuse, il dénombre cinq moulins implantés sur le territoire des communes de Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure : « S’il y avait existé des moulins à marée, ceux-ci ne pouvaient avoir été situés ailleurs que sur les bords de la Bidassoa, de la Nivelle et de l’Adour »(3). Les villes de Biarritz, Bidart et Guéthary ne sont pas écartées de son inventaire mais faute de document précis sur lesquels s’appuyer, il ne s’étend pas.
Son travail demeure le plus complet à ce jour même s’il comporte des oublis et ne reste qu’au stade de recherche cartographique.

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Fig.1. Vue panoramique du sous-sol du moulin à mer de Saint-Bernard. A gauche se trouve la cuve. Au-dessus d’elle, un jeu de meules. Sur le mur du fond, mur Est, un départ de voûte est visible. La fl èche indique le Nord – Cliché personnel.

Il existe des publications plus récentes sur le thème des moulins à mer en Pays Basque, notamment l’ouvrage d’Antxon Aguirre Sorondo publié en 1982(4). Ce dernier réalise un inventaire précis et complet des moulins à mer des deux côtés des Pyrénées. Cependant, le résultat comporte des lacunes et reste théorique.

Ces travaux parmi d’autres constituent déjà une première approche du sujet qu’il est important de compléter par une analyse cartographique plus poussée, puis par une étude archéologique.

Bayonne, Bayonne, sur la Nive et sur l’Adour …(5)

A Bayonne, la présence de moulins à mer, est attestée dès le XIIème jusqu’au XVIIème siècle.
Le plus ancien est celui de Balichon, connu aussi sous le nom de Muhale (molindinum de la mufala). Il fut érigé en même temps que la cathédrale de la citadelle par son évêque, Arnaud Loup de Bessabat(6). Il n’existe plus aujourd’hui. Sur la rive opposée de l’Adour, se trouvait le moulin de Saint-Bernard, bâti à la même période. Un document d’archive mentionne sa présence en 1367, lors d’une réparation, suite à une guerre entre Labourdins et Bayonnais(7). Il appartenait aux Dames du couvent, tout proche.

Le moulin de la Ville, érigé sur la rive gauche de la Nive, date du début du XVIIème siècle comme l’indique cette patente signée par Henri IV(8): « […] permettons accordons et octroyons par ces présentes, qu’ils puissent et leur soit loisibles faire bastir, construire et édifi er deux moulins à eau en ladite ville de Bayonne, près les fossés d’icelle et quartiers de Piedmont et Tour des Menoux ou autres endroits qu’ils verront et jugeront être plus propres et plus commodes, et à cet effet se servir et ayder des eaux des fossés de la dite ville, canaux, étangs et marées en ce qu’ils en auront besoin pour faire moudre lesdits moulins. » Les fossés de la citadelle constituaient donc d’une manière originale l’étang du moulin.

Sur la rive gauche de l’Adour, le moulin de Taride, fait son apparition au XVIème siècle. Il fi gure déjà sur l’atlas Topographiae Galliae, Francfurt, 1657(9).

Enfi n les moulins de Sault, Boyer et Castera sur la rive droite de l’Adour doivent dater  de la même époque. L’un d’entre eux est peut-être déjà fi guré sur le plan de Bayonne de 1599, extrait du même atlas.

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Fig 2. Départ de voûte et fentes visibles dans la pierre – Clichés personnels

 

Le moulin de Bacheforès est le plus méconnu des édifi ces et n’est jamais évoqué dans les publications. Présent sur les cartes de Cassini, d’Etat-major et le cadastre napoléonien, sa construction par Jean de Romatet, avocat, ne date que de 1647. Très discret, il n’est visible que depuis la rive opposée en empruntant la route d’Urt.

Aujourd’hui, la ville de Bayonne n’abrite plus que deux moulins à mer, ceux de Saint-Bernard et de Bacheforès. Tous deux ont cessé leurs activités.

Saint-Jean-de-Luz, Ciboure

Trois moulins bâtis sur les bords de la Nivelle ont existé. Tout d’abord, celui de Billetorte à Saint-Jean-de-Luz, n’existe plus. Sa date de construction remonterait au XVIIème siècle comme pour les deux autres d’ailleurs. La dépendance visible aujourd’hui depuis la route, a été transformée en villa. Le moulin se trouvait jadis à l’emplacement de l’actuelle chaussée. Il fut démoli en 1887(10).

Le deuxième, dit de Mocoenia, se situait sous l’actuelle gare SNCF. Il fi gure très nettement sur deux plans : La Description particulière de la Baye ou havre de Saint- Jean-de-Luz, datée de 1625(11) et le plan de Simencas du XVIIème siècle(12).

Enfi n, un troisième existait à Ciboure, en face du précédent, dans le quartier de l’actuel Marinela. Il est reconnaissable sur le Plan de Simencas et Le Havre de Soccova et les Bourgs de Saint-Jean-de-Luz et de Siboule daté du 20 octobre 1614(13), où la mention « moulin » est clairement indiquée dans la légende.

Il est possible que d’autres moulins à mer aient existé du côté de Guéthary ou peut-être même Biarritz. Cependant, l’étude cartographique menée ici est trop succincte. Elle s’est consacrée aux deux derniers vestiges encore en élévation.

Archéologie et technique au sein du moulin de St-Bernard

Le dernier moulin à mer

Aux allures de maisonnée, le moulin de Saint-Bernard enjambe un cours d’eau qui rejoint celui du moulin d’Esbouc, puis se jette dans l’Adour. Très discret, il se situe à proximité du fl euve et fonctionne grâce au régime des marées.
Le propriétaire du moulin de St-Bernard m’a ouvert ses portes en août 2007 et m’a permis de travailler sous l’édifi ce qui est assez envasé. Une seule des deux arcades est accessible, l’autre est entièrement obstruée.
Le dernier crissement des grains sous la meule remonterait à la dernière guerre mondiale.

Le sous-sol du moulin

Le bâti a subi de nombreuses modifi cations que les visites successives ont permis d’analyser.
D’une manière générale, le sous-sol (cf. Figure 1) est solidement bâti et l’emploi de pierre de taille est de rigueur dans ses premières assises. Puis le moellon grossier se généralise dans les parties supérieures. D’après le propriétaire, le plancher s’est affaissé à cause de la lourdeur des meules et du caractère vétuste du sol. La contrainte fut de retrouver la hauteur originelle du plafond en fonction des marées, ce qui se révéla malaisé. D’où le remaniement des assises supérieures.

Le système à cuve

Le sous-sol comporte une cuve en pierre de taille. L’envasement de son pourtour ne permet pas d’estimer avec exactitude sa hauteur, qui doit atteindre les deux mètres. Le nettoyage de sa partie supérieure a permis de révéler sa forme circulaire mais l’intérieur de la cuve est comblée par de la vase et des débris de toute sorte. 

Les meules

Au-dessus de la cuve se trouve une paire de meules en grès, qui a glissé depuis l’étage supérieur. Ces dernières sont en  parfait état. Le rayonnage de la meule courante est de type rectiligne. Elles font à peu près 1,30 mètre de diamètre. Elles reposent l’une sur l’autre, ce qui empêche de les étudier davantage. Cependant, la meule courante dispose de deux encoches participant d’un système de levage qui reste encore hypothétique. Derrière elles, sur le mur Est, des voussoirs en pierre de taille forment un départ de voûte (cf. Figure 2). Cette dernière devait être l’arcade qui s’ouvrait alors sur l’étang, situé à l’arrière du moulin. De plus, en poursuivant l’étude attentive de ce mur un peu singulier, on remarque deux fentes verticales soigneusement taillées. Il est vraisemblable qu’elles servaient au passage d’une vanne, actionnée à l’étage par une crémaillère, comme celle du moulin de Bacheforès, plus récent et donc mieux conservé.

L’étage supérieur

La cuisine du meunier est toujours en place même si l’étage supérieur a fait l’objet de nombreux réaménagements depuis la période médiévale. Souvenir d’un temps révolu, la pierre à évier à l’angle nord-ouest de la pièce est toujours intacte. En façade du moulin, une pierre inclinée acheminait l’excédent d’eau. Cet espace constituait la partie privée réservée au meunier qui ne faisait alors qu’un avec son instrument de travail. Puis, la division se faisant plus nette entre labeur et habitat, l’occupant de l’époque réaménagea son étable en espace de vie.

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Fig.3. Reconstitution du sous-sol de Bacheforès dont le contrefort droit a sauté suite à une restauration malencontreuse. La cuve de gauche dispose de sa margelle et l’arbre sévèrement corrodé s’élève encore vers l’étage supérieur. A droite, la margelle n’est plus ce qui permet de révéler la forme en escargot de la cuve. Les deux portes sont tombées et ne sont plus actionnées par les crémaillères – Croquis Laetitia Munduteguy

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L’étage supérieur du moulin de Bacheforès. Le croquis montre une archure encore en place. Une seule crémaillère est encore au bon endroit. L’ensemble est placé sur une estrade massive. En dessous, on peut observer les cuves par l’interstice.

La pièce est aujourd’hui éclairée par deux fenêtres qui s’avéreraient être des portes. En 1995, le décrépissement de la façade a révélé deux encadrements. Le chargement et déchargement des sacs devaient se faire depuis l’étage par le biais d’une poulie. Plus facile d’accès par bateau, les gabarres s’amarraient sans doute près des arcades le temps de l’opération.

Un système de levage énigmatique

Comme cela a été dit précédemment, le plancher a été refait. En revanche, les sablières sont d’origine. Sur celles-ci, deux paires encoches devaient participer d’un système de levage.

Le moulin de Bacheforès

Actuellement en cours de restauration, le moulin de Bacheforès est le deuxième et dernier moulin à mer de Bayonne. Il ne fonctionne plus mais dispose encore de ses trois cuves, et des paires de meules correspondantes (cf. Figure 3). Deux d’entres elles sont encore couvertes par leurs archures. L’ensemble a été construit sur une solide estrade en chêne, surélevée. Le système de levage n’existe plus. L’étang encore présent est situé à l’arrière du moulin.

En conclusion, l’étude de terrain menée ici sur l’un des derniers moulins à mer de la région a permis d’apporter un regard neuf sur un sujet peu valorisé. Néanmoins, cette esquisse mériterait d’être poursuivie par un
travail sur les archives en langue gasconne. Celles-ci pourraient permettre de retracer l’histoire du moulin de St-Bernard. Audelà de la recherche sur les sources écrites, l’enquête de terrain reste primordiale et la poursuite des travaux de restauration entrepris par les propriétaires pourrait permettre d’en apprendre plus à propos du système de levage (St-Bernard) mais aussi de travailler sur l’environnement du moulin, tel que le canal encore pavé situé dessous (St-Bernard).

(1) Master 2 d’archéologie soutenu en septembre 2007 à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Titre : Recensement et caractérisation des derniers moulins à marée du Pays Basque (français) Etude du mécanisme du moulin à travers deux études de cas, réalisé sous la direction de Eric Rieth (CNRS et professeur d’archéologie navale à Paris 1 Sorbonne) et Pierre-Jean Trombetta (SRA, île-de- France).
(2) Article de Veyrin P.- « Les moulins à marée du Pays Basque » dans Bulletin du Musée Basque, Bayonne, mars-avril 1936 : 414-423.
(3) D’après Veyrin 1936: 417.
(4) Sorondo A. A.- “Apuntes sobre la moliera en Euskal-Herria”, Sociedad de Estudios Vascos, Eusko Ikaskuntza, San Sebastián, 1982.
(5)Extrait de la chanson bayonnaise : les avants de Bayonne.
(6) D’après Ducéré 1998 : notice Balichon.
(7)D’après Mélanie Comex, extrait de GG 200, n°63, 1367. (Page 114)
(8)Archives de la bibliothèque municipale de Bayonne, BB 17. Le moulin de la Ville fi gure sur une carte ancienne : Plan des biens et héritages pris pour l’emplacement et construction des nouveaux ouvrages de fortifi cations faits à la Ville haute de Bayonne, depuis l’année 1680, entre la rivière de l’Adour et celle de la Nive, tant dehors que dedans (Extrait du Département des photographies et estampes de la BNF-microfi lm-)
(9)Extrait de l’atlas Topographiae Galliae, Francfurt, 1657, Bayonne, planche 30. Disponible au Département des cartes et plans de la BNF, rue Richelieu, Paris.
(10)D’après Desport et alii 1992 : 234.
(11)Carte extraite de Veyrin 1936 : 416.
(12)Le plan de Simencas est extrait de l’ouvrage de Lamant-Duhart 1992 :113.
(13)Ce document est consultable au Département des Cartes et Plans de la BNF, rue Richelieu, Paris.

Laetitia Munduteguy (1) – Article paru dans le Monde des Moulins – N°25 – juillet 2008

Catégories : Technique

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